“Uranus” : les bassesses de l’après-guerre à hauteur d’homme

“Uranus” : les bassesses de l’après-guerre à hauteur d’homme

Est-ce qu’on lit encore Marcel Aymé de nos jours ? Moi même j’ai appris il y a peu qu’il est l’auteur du roman “La traversée de Paris”, célèbre pour avoir été porté à l’écran (“Jambier, 45 rue Poliveauuuuuuu”). Uranus (porté à l’écran au début des années 90 par Claude Berri avec un casting maousse) est LE roman sur la lâcheté et l’hypocrise. Il fallait bien tout le génie d’Aymé pour aller se coltiner une humanité pas reluisante : les habitants de la ville fictive de Blémont, au sortir de l’Occupation…

Le livre sort en 1947 et raconte les affres de l’épuration, après quatre ans d’occupation de la France par les Nazis. D’un côté le PCF, parti martyr, qui a fourni sa part de résistants, de l’autre les Gaullistes. Et puis il y a ceux qui ont trempé dans le marché noir, que ce soit dans les grandes largeurs (Monglat) ou petitement (le cafetier Léopold Lajeunesse). Et puis ceux qui ont été maréchalistes et ne trouvent pas à s’en repentir, ou ceux qui -maintenant que le vent a tourné, font semblant d’avoir toujours été secrètement gaullistes.

L’hypocrisie est donc au coeur de ce roman. On ne parle pas de l’hypocrisie qui le lundi matin au bureau fait sourire à son supérieur à la machine à café (tu fais le malin en essayant de faire croire à tout le monde que tu as été promu grâce à tes talents mais la vraie raison moi je la connais). Non, on parle d’être hypocrite dans un contexte de revanche à ciel ouvert (d’ailleurs la majeure partie de Blémont a été rasée par les bombes allemandes) qui peut conduire au peloton d’exécution.

C’est d’ailleurs ce qui menace Maxime Loin, journaliste collaborationniste, quand il demande à l’ingénieur Archambault de le cacher. Problème : celui-ci héberge déjà sous son toit un enseignant veuf dont le fils a été prisonnier des Boches, Vatrin, et un ouvrier communiste et sa famille, René Gaigneux.

Marcel Aymé a le grand mérite de savoir écrire avec des nuances : prenez par exemple les trois communistes du roman : deux exaltés et un raisonnable. Le premier exalté, c’est Rochard, dont le conflit avec Léopold fournit la majeure partie du roman. Il est capable de tourtes les crapuleries : expulser quelqu’un de chez lui, crever les yeux d’un milicien. Le Parti de Moscou lui donne un cadre pour exprimer sa saloperie de manière utile. Gaigneux voit les choses en homme raisonnable alors que Jourdan, exalté par ses lectures, vit dans les grandes idées, le Grand Soir. Et quand il s’agit de se montrer homme d’action, d’aller corriger Rochard à la demande du parti, il échoue : Rochard est “tellement homme” (concret) et “si peu politique”, qu’il ne peut lever la main sur lui. Car la politique est pour Jourdan une chose abstraite, en tout cas à cette occasion il l’apprend à ses dépends.

C’est ce qu’a bien compris Aymé avec ce roman : la politique parfois, c’est un truc où il faut aller suriner l’autre en le regardant dans le blanc des yeux, et où il faut parfois au contraire détourner le regard. La France de l’après guerre veut régler ses comptes, il faut faire attention à ce qu’on fait/ne fait pas, à ce qu’on dit/ne dit pas. Aymé le décrit très bien.

Et pourquoi le roman s’appelle-t-il Uranus alors qu’il se déroule bel et bien dans un petit patelin de l’Hexagone ? A vous de le découvrir. Un indice cependant : c’est Vatrin qui en parle.

*****

Marcel Aymé “Uranus”, éditions Gallimard, collection Folio.

Jean-Marc Grosdemouge