La Rumeur “L’ombre sur la mesure”

La Rumeur “L’ombre sur la mesure”

Le rap français ne devrait ressembler qu’à ça : des samples jazz, des beats lourds, une production où la mélancolie sort comme une matière visqueuse, pressée qu’elle est dans chaque mesure de musique. Des textes politiques, violents, un vrai regard sur la merde des cités et sur la France en général.

On vous a vendu Portishead, sa tristesse, sa noirceur esthétisée, le jazz qui revient hanter la fin du 20 ème siècle et les rythmes à pleurer. Un “son qui surine”, qui “s’affirme avec la haine dans ses gênes”. Et la colère de La Rumeur “sature dans les graves de cette basse qui monte d’une cave”.

Chez La Rumeur, la mélancolie n’est pas bleu foncé : elle est noire, sent la pisse et le renfermé des cages d’escaliers et vous dit merde. A tous ceux qui laissent le pays aller à vau-l’eau : considérez la Rumeur comme “une bombe dont vous avez allumé la mêche.”

D’ailleurs, le magistrat qui devra juger les propos du groupe, traîné en justice par le ministère de l’Intérieur pour diffamation (voir notre article à ce sujet) devrait écouter “Je connais tes cauchemars.” Et les businessmen qui achètent, vendent, achètent, revendent devraient consulter “Les petites annonces du carnage.”

Cet album n’est pas né dans quelque estuaire du Royaume-Uni, la ville nouvelle de Saint-Quentin-en-Yvelines (“A 20000 lieues de la mer”) n’est pas Bristol, et ce hip hop mélancolique n’est pas éclos dans le royaume de sa Très Gracieuse Majesté, mais dans le pays où le borgne est roi.

“L’ombre sur la mesure” : un disque urgent, un vrai brûlot, un tract musical. Le vrai remède actuel au sarkozysme ambiant. Si vous avez trop regardé TF1 ou “Zone Interdite”, refaites-vous le karma en écoutant La Rumeur, un groupe superbement ignoré par les radios, un groupe qui “injecte du sens là où on ne trouve que du sample”. Vraiment, le rap français ne devrait ressembler qu’à ça. “Un peu de sel sur une plaie ouverte.”

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La Rumeur “L’ombre sur la mesure”, 1CD (EMI), 2003

première publication : dimanche 20 juillet 2003

Jean-Marc Grosdemouge