Naab : mariage berbère

Naab : mariage berbère

Né de parents marocains exilés en France, Naab, issu de la culture hip hop (il a participé au groupe Hee Soon dans les années 90), mais n’ayant jamais coupé avec ses racines, marie sur son album “Salaam Haleikoum” la drum and bass et les influences orientales.

Enregistré en partie dans le pays de ses ancètres, cet album est une carte postale brûlante et électronique. Du Maroc, Naab a retenu le sens de la fête. Sur scène, il se dit “à la recherche de la transe”. Sans aller jusqu’à se réclamer du soufisme (les derviche tourneurs qui dansent jusqu’à l’élévation), Naab a aussi lu de nombreux philosophes arabes (comme Ibn Arabi, Attar, Djallal Al Din Rumi, El Ghazali, Avéroès) et n’a pas choisi le titre de son album n’importe comment. Ce soutien de la cause palestinienne est attaché au mot “paix”.

Propos recueillis par Jean-Marc Grosdemouge

Naab : Je suis berbère du Maroc. Mes parents sont arrivés en France dans les années 60. Ils ont émigré à Brest. J’y suis né. Mes deux parents viennent de la même tribu, dans une ville qui s’appelle Khemisset. C’est le nom du deuxième titre présent sur l’album. C’est une ville entre Rabat et Meknès, proche des plaines de l’Atlas, il y fait très chaud en été, ça monté jusqu’à 45 degrés parfois. Je parle le berbère, j’ai une éducation musulmane, franco-arabo-berbère-musulmane. (sourire)

Epiphanies : Et tu as eu l’occasion d’aller au Maroc récemment ?

J’y vais depuis que je suis petit. Tous les étés, avec mes parents, nous partions deux voire trois mois. J’essaie de garder le rythme, d’y aller un mois dans l’année.

De toi-même ?

Oui. Je pourrais faire le parallèle avec les oiseaux qui migrent… mais je n’y vais pas en avion. J’y vais en voiture, jusqu’à Algesiras puis je prends le bateau.

Pourquoi la route ?

J’ai analysé un peu ça. En voiture, tu mets deux jours, c’est toute une aventure et puis tu reprends le chemin que tes parents ont fait.

Tes parents ne sont pas venus en avion ?

Non, en voiture et en train. Quelque part, y aller c’est une sorte de procession. C’est comme ça que je l’ai pris en grandissant. A l’adolescence, ça me saoûlait d’y aller, je voulais rester avec mes potes, mais j’y ai pris goût depuis quelques années. Y aller en voiture c’est mortel, tu vois plein de choses, ça permet de s’acclimater tu traverses deux pays : toute la côté française (Nantes, Niort, Bordeaux, Bayonne), les paysages. J’ai vu l’Espagne changer après son entrée dans la Communauté Européenne, les autoroutes qui se construisaient, les bâtiments qui s’élevaient. En Espagne, il y a une vraie histoire avec les Maures : j’ai vu Cordoue, Malaga… J’ai vu la misère aussi : avant que l’Espagne rentre dans la CEE, on était parqués comme des animaux à Algesiras. Sur la route, c’était du racisme assez sauvage… une xénophobie.

En France, tu en as souffert ?

Non, pas tant que ça. Un peu à l’adolescence, avec les boites de nuit ou les cafés, ou certains profs. A force, tu l’intègres. Tu vois ce que je veux dire ?

La boite de nuit, tu décides de ne plus y aller ?

Oui, et puis j’ai une ma période de rébellion. C’est tout juste si on manifestait pas devant la boite à Brest. J’ai des potes qui se sont fait tabasser part des vigiles dans des supermarchés. On entamait des procédures, on appelait France 3. C’est vrai que j’ai un peu connu le racisme, mais il est latent. En fait, c’est plus la peur de l’étranger. j’ai discuté avec un mec un jour qui m’a dit “je suis raciste, mais toi, c’est pas pareil.” Faut pas se laisser freiner par ça dans la vie, les racistes, c’est une minorité de gens.

Aller au Maroc, ça t’a apporté quelque chose du point de vue musical ?

Bizarrement, je n’ai pas de tradition familiale dans ce domaine. J’ai beau rechercher loin, il n’y a pas de musiciens dans ma famille. Le seul rapport à la musique que j’avais, c’était des cassettes ou la radio longues ondes que mon père écoutait. Il écoutait la radio égyptienne. le soir, je m’endormis et j’entendais cette musique. J’ai dû être bercé par ça.

Et ton père rapportait des cassettes du Maroc ?

Oui, mais sans que j’y fasse plus attention que ça. Quand il est décédé, je les ai écoutées. Je me suis replongé dans son passé pour cicatriser. C’est comme ça que j’ai découvert Mohammed Abdel Wahab (une superstar de la musique orientale comme Oum Kalsoum ou Fairouz, NDR). Avec mes amis, lors de mes vacances au Maroc, on a pas mal fait la fête, dans les mariages. Là-bas, il y a une vraie jeunesse. Dans les mariages où on allait, tu as un rapport direct avec les musiciens, qui jouent des standards.

Il y a un orchestre ?

Oui, ce n’est pas chaîne hi-fi ou DJ, ça n’a rien à voir avec ici. Les gens savent qu’ils sont là pour danser. Personne n’est du genre à rester assis… il y a un rapport fort entre musique et fête au Maroc.

Ce sens de la fête, Naab le retranscrit à merveille, que ce soit sur scène ou sur disque avec “Salam Haleikoum”. Avec énergie (Roni Size n’a qu’à bien se tenir). Et avec coeur.

Jean-Marc Grosdemouge