Cat Power “The greatest”

Cat Power “The greatest”

D’aucuns (“Les Inrocks” en fait) la considèrent comme la “mère spirituelle des Antony, Devendra et Cocorosie.” On se râcle la gorge, comme les gens qui vont dire quelque chose de désagréable et on le dit tout net : il y a malaise. On argumentera simplement que Chan Marshall n’a pas toujours su donner des concerts aussi palpitants que ceux d’Antony. On l’a vue à la Boule Noire, on n’est pas restés longtemps (voir notre article).

Cat Power a moins de charisme que Devendra Banhart (qui invite des gens à monter sur scène) et n’a pas de soeur qui puisse la soutenir, comme les soeurs Cassady se soutiennent l’une l’autre. De fait, Chan Marshall s’est longtemps coletiné son mal-être sur les planches, tel un animal de foire, et on l’écoutait se dépétrer avec sa timidité, ses instruments, son corps trop grand pour elle. On regardait tout ça avec une pointe de malaise, car le malheur sous les spotlights, ce n’est pas trop notre tasse de thé. Bref, le côté famille n’est pas ce qu’il y a de plus prononcé chez l’Américaine, dont la bouteille fut longtemps le compagnon privilégié. Mais Cat Power vient de se trouver une famille : les fantômes du Ardent Studio, comme Elvis Presley, Otis Redding, Leon Russell, ou Sam and Dave, pas mal d’artistes des labels Sun et Stax, mais aussi REM, Led Zeppelin ou les White Stripes, qui y enregistrèrent leur “Get behind me Satan”.

C’est en effet dans cet antre de Memphis, Tennessee, qu’elle a enregistré son dernier album. Le résultat est aussi fondant que le “Nixon” de Lambchop, qui en 2001 acoquinait sa country avec la soul et les cordes. Il n’est qu’à écouter “What would the community think ?”, son album de 1996, aussi sec que le “Dry” de PJ Harvey, pour constater que d’un songwriting revèche et rêche comme de la toile denim, Chan est passée à la soie, le velours. Sa voix, hier déchirante est de nos jours caressante. Le piano est souvent guilleret, les cuivres enlevés, les guitares miaulent (normal chez Cat Power) et c’est incroyable comme cette transformation s’est opérée sans douleur. Elle qui autrefois se drapait dans sa nudité (“Nude as the news”) a trouvé son écrin. Par la même occasion, elle a trouvé son envol : ces chansons sont aériennes.

La défunte Dusty Springfield, longtemps considérée comme la plus belle voix blanche de la soul, vient de se faire déposer de son trône, et ne peut même pas répliquer. Ni riposte graduée, ni représailels massives ne pourront revenir sur ce nouvel état de fait : Cat Power est “The greatest”, comme Ray Charles était “The genius” ou Frank Sinatra “The voice”. Le papillon de nuit abreuvé de lumière a retrouvé sa chrysalide, un cocon de douceur pour l’âme et pour les oreilles. Appelons ça le “cat power”.

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Cat Power “The greatest”, 1 CD (Matador/Beggars), 2006

Jean-Marc Grosdemouge